Accidents et sécurité
MA FABRIQUE À M'EN FOUTRE
Accidents et sécurité
Durant toutes ces années de dur labeur, j’ai eu l’honneur (ou la malchance ?) de déclarer deux accidents du travail. Mais rassurez-vous, je ne vais pas vous parler de mes tendinites à répétition, comme celle, héroïque, que j’ai eue pendant la période COVID au bâtiment, en changeant les caillebotis en bois avec la Tisane qui squatte de l'autre coté de la route. Non, ça, on passe. Je ne vais pas non plus évoquer mes douleurs de dos d’antan, à force de déplacer des tonnes de carrelage coincés sous les meubles d’exposition. Je ne vais pas non plus vous parler du montage et démontage de rack, pour lequel j'étais seul car à l'époque c'était toujours trop cher d’avoir de l’aide. Et les petites coupures ? Pas de cutter, non, c’était mieux : des matériaux « légèrement » coupants, parce qu’à l’époque, porter des gants, ce n’était pas trop à la mode. Je vais vous épargner aussi les détails sur les problèmes psychosociaux (sauf cet épisode mémorable que je vous ai déjà raconté et qui aurait bien mérité une déclaration). Parlons plutôt de mon premier accident déclaré, qui remonte à mes débuts dans la fabrique.
C’était en janvier — l’année exacte, je ne m’en souviens pas, mais la neige, ça, je m’en souviens très bien. Une belle couche blanche recouvrait tout. En bon stratège, j’avais préparé des boules de neige et me tenais prêt à embusquer mon collègue du service sanitaire. À la première occasion, bam, je lui ai lancé mon arsenal. Touché ! Plusieurs fois même. Mais évidemment, Dominique n’a pas tardé à riposter. C’est là que le drame s’est joué : en voulant esquiver ses projectiles enneigés, j’ai sauté sur un tire-palette, espérant l’utiliser comme un skateboard improvisé pour fuir et trouver refuge dans le magasin. Et là… chute spectaculaire ! Imaginez la scène : moi, les pieds en l’air, le dos sur le sol enneigé, glissant comme un pingouin maladroit. Résultat : une belle foulure au poignet et huit jours d’arrêt de travail. Je revois encore Dominique, hilare, en train de me canarder pendant que je repartais, si je peux dire, la queue entre les jambes. Aujourd’hui, avec le recul, cette petite défaite me laisse un souvenir hilarant. À l’époque, il n’y avait aucun stress, juste des batailles de boules de neige et des glissades mémorables. Et vous savez quoi ? Je ne regrette rien. Prescription ou pas, cette histoire reste gravée dans ma mémoire avec un grand sourire.
Mon deuxième accident n’est pas si lointain que ça : c’était en 2023. Une palette perchée à 6 mètres de haut, contenant du parquet, menaçait de s’effondrer. Elle était visiblement déséquilibrée, et le film qui devait la maintenir en place était quasiment inexistant. Le problème avait été signalé dès le début de la semaine sur le réseau Wordchat de la logistique. Et pourtant, le vendredi soir, rien n’avait bougé. Personne ne s’en était occupé. C’est ce vendredi soir, juste avant de partir, que j’ai pris connaissance du problème. J’ai demandé à quelqu’un de la logistique de mettre en place un balisage au sol pour empêcher quiconque de passer dessous et de traiter le problème dès le lendemain. Le lundi matin, dès mon arrivée, je suis allé vérifier si cela avait été fait. Stupeur : la palette était toujours là, en équilibre précaire, à 6 mètres de haut, sans balisage stipulant un danger.
J’ai mené ma petite enquête, et voilà le constat : tout le monde était au courant, y compris les responsables. Tous. Alors là, pas question de laisser passer. Je cherche une nacelle et demande à un collègue de m’aider avec un chariot pour stabiliser la palette. Sa réponse ? « Je n’ai pas le temps ». Ne voulant pas me battre avec des gens aussi désinvoltes, j’ai pris moi-même un chariot, une palette vide et la nacelle pour transférer les paquets de parquet. Évidemment, je n’étais pas content. Je pestais contre les responsables de la logistique. Et il y a de quoi : ils sont quatre, quatre, et aucun n’a levé le petit doigt ! Une fois de plus, c’est Didess qui se tape la merde des autres. En allant chercher les paquets à bout de bras, voilà le résultat : élongation de l’épaule droite. Oui, celle-là même qui me fait encore mal depuis le changement des caillebotis au bâti. Je n’ai pas eu le choix : j’ai déclaré l’accident, et me voilà avec 8 jours d’arrêt de travail et des séances de kiné en prime.
Je reconnais que j’aurais pu éviter l’arrêt en me contentant de tâches administratives et en faisant plus attention. Mais pourquoi devrais-je toujours être celui qui s’écrase ? Dans cette boîte, on minimise les troubles musculo-squelettiques que tout le monde traîne. « Il est là, il peut le faire ». Eh bien non. Ma véritable raison pour cet arrêt, c’était de faire réagir. De mettre tout le monde face au danger réel et de provoquer une enquête sérieuse.
J’ai été auditionné par les membres du comité CHSCT. J’ai joué franc jeu, je n’ai rien caché. J’ai donné les noms des coupables possibles. Et le seul retour que j’ai eu, c’est : « Tu avais tes gants ? ». Sérieusement ? C’est ça votre priorité ? J’attendais autre chose de ma directrice. Pas des excuses, mais au moins une prise de conscience. Un minimum d’attention aux risques logistiques. Mais non. Aujourd’hui, je ne regrette pas mon arrêt. Si j’ai agi comme ça, c’est parce que des années d’inaction et de m’en-foutisme de certains responsables m’y ont conduit. Pour ça, il n’y a pas prescription. Et croyez-moi, j’attends de pied ferme un retour, même caché, sous quelque forme que ce soit.
La société essaie de faire des efforts sur les troubles psychosociaux (TPS) et les troubles musculo-squelettiques (TMS) pour réduire les coûts. Cependant, avec du recul, je constate que ces efforts restent souvent vains. Il n’y a pas de véritable réflexion en amont sur les différents postes avant que les problèmes ne surviennent. Nous connaissons tous les risques liés à ces sujets, mais selon moi, le problème n’est pas réfléchi à la base. Si nous n’avons pas trop de problèmes sur ce sujet, c’est certainement grâce au turn-over. Qui finalement arrange bien du monde et déplace le problème financier sur le compte d’exploitation de la nation.
Prenons un cas concret. Un collègue de la logistique, en poste depuis plus de 20 ans, a porté des charges lourdes toute sa carrière. Aujourd’hui, il se plaint de douleurs multiples. Et pourtant, rien n’est fait pour éviter qu’il se retrouve dans une situation que personne ne souhaiterait vivre. Je suis convaincu qu’il serait possible d’instaurer des règles spécifiques pour lui, comme limiter les charges qu’il porte à un maximum de 10 kg. En échange, on pourrait lui confier davantage de déchargements de camions ou d’autres tâches adaptées. Mais voilà : on attend que la médecine du travail lui interdise de faire de la manutention. Cela conduirait très probablement à un licenciement, sous prétexte que des postes lui seraient proposés mais qu’il les refuserait. Pourtant, il aurait été judicieux, depuis longtemps, de l’orienter vers un autre poste. Encore faut-il qu’une personne soit réellement en charge de suivre et de gérer sérieusement les problématiques des employés. Entre nous, risquer de détruire son dos, ses épaules, et sa santé pour 1 750 euros par mois ? Pas moi. C’est une forme de suicide lent, peu coûteux et organisé. Sur le sujet de la vie professionnelle, je pense qu’il faudrait instaurer des paliers pour éviter de reproduire les mêmes erreurs et préserver la santé des employés. Je propose deux tranches :
20 à 45 ans : des tâches logistiques ou physiquement exigeantes.
45 ans et plus : des tâches moins contraignantes physiquement mais davantage orientées vers des fonctions cérébrales ou organisationnelles.
Mais que font nos ressources humaines… ? Cette organisation ne serait peut-être pas parfaite, mais elle constituerait un premier pas. De plus, toute personne entrant dans l’entreprise serait informée de ces aménagements de postes et du fonctionnement de ces transitions. Ainsi, le changement ne serait pas brutal mais progressif, et il serait anticipé sur le long terme. En suivant cette logique, les risques psychosociaux pourraient être significativement réduits. Une organisation claire, où chacun sait qu’il sera préparé et accompagné pour évoluer dans son poste, ne peut qu’améliorer la qualité de vie au travail et la santé des employés. Réflexion faite, cela devrait être étendu à l’ensemble de la population. Une utopie, certes, mais nous pourrions nous en inspirer. Je suis plus proche que jamais de la retraite. Personnellement, je ne me vois pas à la retraite, et ce mot m’interpelle. Je me vois quitter la société sans aucun problème, mais pas pour une retraite bien méritée, plutôt pour un changement d’activité. Je pense également que c’est tout le problème de notre société : ne rien faire, c’est déjà faire quelque chose.
Lorsqu’on parle accidents, on en vient à parler sécurité. Voilà une anecdote. Depuis plusieurs semaines, je réorganise les locaux sociaux du bâti, le bureau, la salle informatique, le vestiaire, etc. Ce n’est pas vraiment mon job, mais j’aime être gentil et rester utile économiquement pour la « famille ». Après divers travaux de peinture, placo, revêtement de sol, électricité, menuiserie, je commande des vestiaires pour mes collègues préférés du bâti. Les casiers arrivent, et là… il faut les monter à l’étage. Le sketch a duré près d’une heure avant de trouver la seule solution raisonnable et possible pour les faire passer à l’étage : avec l’aide d’un fenwick, je monte les casiers à hauteur d’étage et hop, par la fenêtre ! N’importe quel individu aurait vu que ça ne passait pas par l’escalier, puisqu’il est en colimaçon et que les casiers sont trop grands. On a bien envisagé de les démonter, mais ils sont soudés, donc non démontables. D’où ma réflexion sur le mot « sécurité ». Et là, je me suis rendu compte que la différence entre « sécurité » et « travailler en sécurité » n'est pas si évidente. Il ne faut pas oublier que nous n’avons pas tous le même métier et que les règles de sécurité d’un manutentionnaire ne peuvent pas s’appliquer à la lettre pour un technicien ou un vendeur. Avec votre manière illogique de pointer les questions de sécurité, je finis par ne plus rien faire. À mon grand regret, je ne sors pas d’une école polytechnique, mais d’un lycée professionnel. J’y ai appris divers métiers ainsi que le travail en toute sécurité. Bien entendu, je reste toujours potentiellement sujet à un accident, et c’est à ce moment-là que vous intervenez pour me rappeler les règles de base propres à mon métier. Ah oui, j’oubliais : vous ne les connaissez pas suffisamment pour faire la différence. Dommage.
Voilà une formation qu’il serait bien de mettre en place. Si le budget le permet, pourquoi ne pas envisager une deuxième formation intitulée « Comment vivre en bonne intelligence » ? Si notre société (le pays, pour ne pas le nommer) fonctionnait comme ça, on n’aurait plus le droit de conduire une voiture. Ben oui, il y a des accidents mortels sur les routes, et pourtant, on continue tous à rouler, non ? Vous avez peut-être raison, coupons les arbres le long des routes, cela réduirait considérablement les collisions contre un arbre. A bon entendeur.
Prochainement: éhapitre 10