Un territorialisme utopique, la vie passive

J'AI RÊVÉ D'UN NOUVEAU MONDE

Un territorialisme utopique, la vie passive

                                                                                  Un nouveau monde


Au lendemain de l’effondrement du vieux monde, un nouveau territoire est né. Lentement, il a pris forme, façonné par les survivants, les rêveurs, les bâtisseurs. Rien n’était acquis. Il a fallu lutter, reconstruire, faire taire les voix du passé. Car l’ancien monde ne voulait pas mourir. Quelques irréductibles, nostalgiques intellectuels ou anciens dirigeants tentaient encore de le ressusciter.

Mais cette fois, quelque chose avait changé.


Pour la première fois depuis des décennies, les citoyens ont entrevu la possibilité d’une véritable évolution psychique, d’un autre rapport à soi, aux autres, au monde. Ce n’était pas une révolution de façade, mais une transformation intérieure, collective, encore fragile — mais bien réelle. Le monde d’avant ne pouvait plus grandir. L’humanité avait atteint les limites de son intelligence. Les progrès techniques s’étaient multipliés, mais l’homme, lui, restait figé. Prisonnier de ses certitudes, de ses peurs et de ses automatismes, il tournait en rond dans une société saturée, incapable de se réinventer. Pendant que certains s'efforçaient de participer à une évolution stérile, d'autres rêvaient d’un nouveau monde. Il a fallu tout perdre pour que l’humain commence enfin à changer. Ce n’était pas la première extinction sur Terre.

Mais cette fois, c’était la sienne. Plus de fuite possible. Plus de distraction. L’écran s’était éteint, la machine s’était tue, et le monde redevenait silencieux. Il ne dominait plus rien. Il n’exploitait plus rien. Il découvrait. Et dans ce dépouillement brutal, une autre forme d’intelligence a émergé.

Non dans le progrès, mais dans l’attention.

Non dans la puissance, mais dans la présence.

Non dans l'opulence, mais simplicité


Dans l’ancien monde, Didés était un homme ordinaire. Rien ne le distinguait vraiment des milliards d’autres hommes. Rêveur discret, souvent en marge, il portait en lui une intuition profonde que beaucoup jugeaient naïve. Un jour, un accident bouleversa son existence — et dans le choc, il eut une vision. Claire, fulgurante : celle d’un autre monde possible. Depuis ce moment, les nuits ne se ressemblent plus. Les écrits ne le disent pas, mais il n’était pas seul. À ses côtés se tenait Stéphanie, sa compagne. Elle était bien plus qu’un simple soutien : elle incarnait ses idées, ou peut-être était-il, lui, le prolongement de sa main. Ensemble, ils formaient une unité discrète, mais fondatrice — un noyau silencieux autour duquel un autre avenir pouvait commencer à germer. Il n’était pas seul à espérer un changement profond. D’autres voix, disséminées à travers le globe, partageaient des idées semblables. Mais par chance, ou par ténacité, ce sont les pensées de Didés qui ont traversé le cataclysme. Il a laissé des écrits, des récits, des fragments de réflexion… mais surtout, il a laissé une lignée. Parmi ses descendants, Quentin surnommé Quentoche fut le premier à reprendre le flambeau. Il poursuivit l’élan amorcé par son père et fit grandir cette idéologie. Il faut toutefois le reconnaître : le mot utopie prit alors tout son sens. Ce rêve d’un monde meilleur, autrefois moqué ou ignoré, devint la base d’un nouveau départ. Non comme un idéal figé, mais comme une direction à suivre, une promesse à incarner. Quantoche n’était pas seul. À ses côtés, sa sœur, Julie, surnommée bébou, marchait elle aussi sur les traces de leur père. Plus intuitive, parfois plus radicale, elle partageait cette même vision d’un avenir à réinventer. Ensemble, ils formaient un duo inattendu, complémentaire, tissé d’espoir et de mémoire. Didés vivait désormais à travers eux, non comme une légende figée, mais comme une force en mouvement. Les génération suivante ont tous eu leur Didés, l'héritage familial était une histoire générationnelle.


Un monde à hauteur d’homme,

la vie de famille avant et après les obligations Dans ce monde, le quotidien n’était pas une lutte. Chacun avait un toit, toujours chaud, toujours sain. Pas de luxe inutile, mais du confort digne, sans crainte du lendemain. Que l’on vive dans une maison entourée d’arbres ou dans un appartement en cœur de ville, on se sentait à sa place. Nul besoin d’envier, car tout le monde avait l’essentiel, et personne ne manquait de rien. La faim ne faisait plus partie du vocabulaire courant. On pouvait cuisiner chez soi, avec ce que l’on trouvait dans les cuisines communes ou les jardins partagés. Mais souvent, on préférait se retrouver dans les cantines collectives. Ouvertes à toute heure, elles étaient à la fois des lieux de repas, de parole, et d’humanité. On y mangeait ce que d’autres avaient préparé avec soin, et un jour ou l’autre, on rendait la pareille. Tout était gratuit. Pas parce que les choses n’avaient pas de valeur, mais parce que la valeur se trouvait ailleurs : dans la participation, dans la responsabilité, dans le respect mutuel. Chacun faisait sa part, selon ses forces, ses envies, ses talents. Et cette part, aussi modeste fût-elle, était reconnue comme essentielle. Les magasins existaient toujours, mais leur logique avait changé. Ils n’étaient plus des lieux de possession, mais de circulation. On y venait non pour acheter, mais pour prendre ce dont on avait besoin, et y laisser ce que l’on n’utilisait plus. On n’y entrait pas avec de l’argent, mais avec du discernement et du respect.

Le soin des corps était au cœur du soin de la société. La médecine, entièrement accessible, s’appuyait sur les meilleures technologies. L’intelligence artificielle, la biosurveillance et la médecine préventive travaillaient main dans la main. Des visites médicales régulières, organisées et obligatoires, garantissaient que chacun soit suivi, écouté, compris. Pas pour contrôler, mais pour protéger. Des régimes de santé adaptés étaient proposés — parfois rendus obligatoires — pour préserver la vitalité de tous. L’alcool et le tabac existaient encore, mais de manière strictement régulée, avec des quotas individuels établis selon l’état de santé de chacun. Dans cette société, la souffrance prolongée n’avait pas de place. Toute personne atteinte d’une dégradation physique ou mentale irréversible, sans espoir de rémission ni de conscience lucide, était accompagnée vers une fin douce et encadrée. L’euthanasie, dans ces cas, était une obligation collective — non par cruauté, mais par respect pour la dignité humaine et l’équilibre de la communauté. La fin de vie n’était ni redoutée, ni retardée à tout prix. Lorsqu’il n’y avait plus rien à soigner, la société se devait d’apaiser. Le passage était accompagné, ritualisé, reconnu comme un acte de lucidité et de paix. La médecine ne s’acharnait pas : elle accompagnait.


La technologie faisait naturellement partie du quotidien, mais avec parcimonie. Elle n’était pas envahissante. Les téléphones, par exemple, ne servaient qu’à téléphoner. Ils n’étaient ni objets de distraction, ni outils de fuite. Il n’y avait pas d’écran personnel dans les foyers. La vie domestique était simple, tournée vers les autres, vers le calme, ou vers la lecture et la création.Pour se divertir ensemble, on allait dans des salles collectives. Il y avait des salles de concert, des salles de cinéma, des espaces de jeu ou de détente. On y retrouvait les autres. On y partageait des rires, des émotions, du temps. La culture n’était pas réduite à un flot d’images, mais vécue comme une rencontre. Les activités sportives étaient pour tous dont une minimum obligatoire. Des jeux collectifs étaient organisés, ils étaient pour chacun un moment de relâchement ou chacun pouvait participer. Que l’on gagne ou perde n’était pas important car rien n’était a gagner juste l’amusement du collectif.

Le respect de l’environnement était une évidence. On vivait avec lui, pas contre lui. Pas de véhicules personnels motorisés. Les déplacements se faisaient à pied, à vélo pour ceux qui le souhaitaient, ou grâce à un réseau de transports collectifs fluide, propre, bien réparti. Les villes étaient calmes, les villages respirables, les chemins accessibles à tous. Chacun a son activité non loin de son habitation. Et parce que le monde n’était pas sans mémoire, la communauté avait appris à prévoir l’imprévisible. De grands greniers collectifs, solides, protégés, remplis chaque année, contenaient des réserves alimentaires pour un minimum de deux ans. Ils étaient là non par peur, mais par sagesse. Le climat, hérité de l’ancien monde abîmé, restait instable. Les sécheresses, les inondations, les années difficiles pouvaient revenir. L’humanité d’avant l’avait appris dans la douleur ; celle-ci s’en souvenait. Et elle agissait en conséquence.

Et lorsque survenait un conflit — une mésentente entre voisins, une tension entre collègues, ou une divergence dans l’interprétation d’une règle — le collectif ne détournait pas les yeux. Il écoutait. Chacune des parties avait le droit d’être entendue, dans un cadre de respect. Puis la communauté décidait, ensemble, ce qu’il convenait de faire. Pas pour punir, mais pour apaiser, corriger, avancer. La justice n’était pas une affaire de pouvoir, mais de lien.

La gouvernance, elle aussi, reposait sur la confiance et la simplicité. Dans chaque ville ou village, un groupe de dix à trente personnes — selon la taille de la population — était tiré au sort pour trois ans. Ces personnes administraient les affaires locales sans privilège, sans autorité excessive, et en lien direct avec les habitants. Elles venaient de la vie ordinaire, et y retournaient. Pour maintenir la continuité, une équipe d’appui restait en place, gardant la mémoire collective et facilitant la transition. À l’échelle du pays, le même principe s’appliquait. Tous les deux ans, un nouveau groupe de citoyens était tiré au sort pour gérer les grandes décisions nationales. Ni carrière politique, ni culte du pouvoir : simplement des gens tirés au sort, formés, accompagnés, responsables un temps, puis relayés. Aucun avantage ne leur était accordé. Ils vivaient comme les autres, au même rythme, sous le même toit de valeurs.

Ce monde n’était pas parfait. Il demandait un effort intérieur : celui de renoncer à l’avidité, à la comparaison, à l’idée de mériter plus que les autres. Mais il offrait en retour une chose rare : la paix du cœur. Car personne ne dormait dans le froid. Personne n’était laissé seul avec sa faim, sa douleur ou sa solitude. Et chacun savait qu’il comptait.

Jusqu’à présent, nous avons évoqué la vie de chacun sur de grandes lignes, en dehors des obligations communes comme le travail. Car il faut le rappeler : rien n’est gratuit, et les richesses ne se créent pas toutes seules.

Bientôt, vous découvrirez la suite de ce nouveau monde, dans un nouvel article intitulé: Le travail dans le  nouveau monde.