Souvenir d'un ancien monde 2
L’Évolution par la Chute
J'AI RÊVÉ D'UN NOUVEAU MONDE


L’Évolution par la Chute
L’Évolution par la Chute
L’homme du XXIᵉ siècle
L’homme du XXIᵉ siècle avait cessé d’évoluer. Toute avancée technologique ne faisait que mettre en péril sa propre survie. Une extinction partielle finit par survenir, inévitable conséquence d’une humanité incapable de se réinventer sans se détruire. Non pas en raison d’une fatalité naturelle, mais parce que son mode de vie, sa logique de fonctionnement et ses croyances collectives la condamnaient à l’immobilisme, tant que le confort persistait. Rien ne bougeait vraiment tant que l’on mangeait à sa faim, que l’on consommait à crédit, que l’on s’endormait devant des écrans en croyant être libre.
Et pourtant, à y regarder de plus près, rien n’avait fondamentalement changé depuis des siècles. Nous faisions encore la guerre avec des canons. Certes, ils étaient plus précis, plus meurtriers, mais l’esprit restait le même : conquérir, dominer, se défendre plutôt que se comprendre. Nos outils avaient évolué, mais pas nos instincts. On tuait toujours pour des frontières, des ressources, des idées. L’évolution technique masquait l’absence d’évolution morale.
Même nos déplacements, que l’on croyait écologiques, n’étaient que des variantes d’un même paradigme. La voiture électrique restait une voiture. Elle exigeait des routes, de l’énergie, des métaux extraits dans la douleur. Elle perpétuait le modèle de la vitesse, de la séparation des lieux, du déplacement individuel. C’était un progrès de façade, non une remise en question.
Notre mode de vie était organisé autour de l’argent, non de l’intérêt collectif. L’économie était devenue la nouvelle religion, la croissance son dogme. On ne se demandait pas ce qui était juste, nécessaire ou bon pour l’humain — on regardait si c’était rentable. On ne fabriquait pas ce qui était utile, on créait des besoins pour vendre. Ce n’était pas l’intérêt général qui gouvernait, mais la peur de manquer et le désir d’avoir toujours plus.
Et si l’humanité ne parvenait pas à évoluer, c’était peut-être en raison d’un mal plus profond encore : son égoïsme fondamental. L’homme pensait d’abord à lui-même, à son confort, à sa sécurité, à ses privilèges. Il défendait son intérêt personnel, même en sachant que cela nuisait au collectif. Il fermait les yeux sur les conséquences de ses actes, tant que celles-ci ne le touchaient pas directement. L’égoïsme était devenu une norme sociale, déguisée en liberté individuelle. Tant que chacun défendait son petit monde, le grand monde restait invivable.
Même les progrès médicaux, qui auraient dû incarner une victoire de l’humanité pour elle-même, étaient instrumentalisés. La médecine moderne était trop souvent une industrie, et chaque vie devenait une carte bleue. On soignait, mais on facturait. On cherchait, mais on vendait. Pourquoi un médicament était-il vendu à un prix en France, et à un tout autre, parfois inaccessible, en Afrique ? Pourquoi tant de brevets bloquaient-ils l’accès aux traitements pour des millions de personnes ? Ce n’était pas la santé qui dictait ces décisions, mais le pouvoir de l’argent. Ce qui aurait dû sauver devenait un marché. L’humanité y perdait son âme.
Et l’espace, cette dernière frontière, n’échappait pas à cette logique. On prétendait vouloir y trouver de nouvelles terres, de nouvelles ressources, une échappatoire à l’effondrement. Mais au fond, pourquoi cette ruée vers Mars ? Pour fuir les autres, pour échapper à la planète que nous avions détruite. L’espace devenait un bunker potentiel, non un lieu d’unité humaine. Ce n’était pas une conquête pour s’élever, mais une fuite pour survivre.
Mais plus profondément encore, il fallait se rendre à l’évidence : l’homme ne savait pas réfléchir librement. Son cerveau était bridé, conditionné dès la naissance par des normes, des dogmes, des peurs, des habitudes sociales, des récits anciens qu’il ne questionnait plus. On lui apprenait à fonctionner, pas à penser. À obéir, pas à comprendre. Il était limité dans ses choix, parce que limité dans sa conscience.
Et au fond, l’homme avait toujours eu peur de l’évolution. Car évoluer, c’était quitter ce que l’on connaît. C’était abandonner le pouvoir, remettre en question l’ordre établi, affronter l’inconnu. L’évolution faisait peur parce qu’elle exigeait du courage, de l’humilité, et une rupture avec les conforts anciens. Il préférait perfectionner ce qu’il connaissait, même si cela le menait à sa perte, plutôt que de changer vraiment.
Il était peut-être biologiquement apte à l’intelligence, mais culturellement, il restait figé. Il confondait connaissance et sagesse, technologie et évolution. Il vivait dans un brouillard permanent de distractions, d’idéologies, de fausses urgences. Il ne voyait plus l’essentiel. Il avait besoin d’un choc brutal pour réveiller une conscience endormie.
Alors oui, peut-être fallait-il une catastrophe. Peut-être fallait-il que 80 % de la population disparaisse, que les structures s’effondrent, que le bruit cesse, pour que quelque chose de nouveau émerge. C’était une pensée terrible, mais elle traduisait une impasse : nous ne savions plus changer dans l’abondance.
Et si un jour l’humanité renaissait de ses cendres, peut-être qu’alors elle construirait un monde fondé sur l’intérêt réel : le partage, la sobriété, l’écoute, l’harmonie avec le vivant. Elle comprendrait que la vraie évolution ne se mesure ni en vitesse, ni en puissance, mais en capacité à vivre ensemble autrement. Mais avant cela, il faudrait tomber. Et tomber bas.