Me voilà à Gondrexange
TRENTE JOURS DE SOLITUDE


Bon ben me voilà à Gondrexange, kilomètre 100, pour la pause déjeuner. Par chance, j’ai trouvé une petite boulangerie qui ferait peur à la plupart des citadins. Bien accueilli, la boulangère m’a fait entrer dans le fournil pour me laver les mains et faire le plein d’eau. J’ai trouvé de quoi me remplir la panse, ainsi que quelques biscottes. Me voilà à l’ombre d’un lilas embaumant, dégustant mon casse-croûte. Effectivement, la vie peut être belle par moments.
À ce stade de mon périple, j’ai pris du recul sur ma traversée des Vosges et j’ai bien compris mon erreur, qui m’a coûté 20 km. Pour faire mon itinéraire sur Garmin, j’ai dû m’y reprendre à plusieurs fois. Ne connaissant pas le logiciel, j’ai superposé plusieurs tracés pour passer les Vosges, pensant qu’ils s’écraseraient automatiquement. Ben non ! Je me suis retrouvé avec plusieurs tracés sur un même itinéraire. Durant mes trois premiers jours, je n’ai cessé de passer de l’un à l’autre. Me voilà avec un début de parcours plutôt chaotique. Mais bon, maintenant j’ai compris et je suis plus attentif, en combinant Garmin, Visorando et les indications des GR.
J’ai mieux dormi cette nuit et je commence à m’habituer à une vie de nomade. Je mange quand je peux, je dors où je trouve. Bizarrement, mon paquetage me paraît moins lourd. En arrivant dans ce village, j’ai rencontré une mamie qui avait des problèmes avec sa tondeuse. Elle m’a demandé si je pouvais la démarrer, mais malheureusement je n’ai pas réussi. Elle a bien pétaradé un peu, mais pas plus. J’ai continué mon chemin, sans pouvoir l’aider davantage. La surprise, c’est qu’elle m’a offert un chocolat.
Je ne vais plus vous parler en jours mais plutôt en kilomètres. Je suis actuellement au kilomètre 150, et je compte passer la nuit à Salonnes. La nuit dernière, je me suis arrêté à Dieuze. Une place d’enfer, juste derrière l’église, entourée par le cimetière. L’eau était abondante, froide mais bien présente. J’avais demandé au propriétaire du terrain juste derrière, qui a bien voulu me laisser monter mon campement. Le temps de monter mon bivouac et me voilà prêt pour la nuit. J’en ai profité pour faire une lessive et me désinfecter. Il ne faut pas grand-chose pour se sentir bien : c’était mon premier vrai nettoyage depuis mon départ.
Au regard du clocher qui m’annonçait vingt heures… sueur froide ! J’avais monté ma tente juste dessous. En général, après vingt-deux heures, le bon Dieu met la sourdine… Ben non. Il a sonné toute la nuit : le petit "ding-dong" tous les quarts d’heure, le grand toutes les heures, et le rappel cinq minutes plus tard, comme si on n’avait pas compris. J’ai fini par m’endormir tardivement, et le matin à six heures : 105 ding-dong. Ben merde alors. La prochaine fois, je ferai plus attention.
Je me suis arrêté à Marsal pour faire le plein de nourriture et panser les bobos. Pour moi-même et pour Biscotte : tous deux un peu abîmés. À 10h30, je me suis pris une bière — qu’est-ce que je l’ai appréciée ! J’en ai profité pour envoyer un message à… je n’ai pas vraiment de mot précis, mais disons un membre de la famille : Claude. Je lui envoie une photo de ma bière, bien méritée, et Claude me répond : « T’es où ? ». Je lui dis : « À Dieuze », et du tac au tac : « J’arrive, on mange ensemble ». J’ai eu du mal à contenir mes émotions. J’ai mangé un bon steak, en plus de la bonne compagnie.
Je suis actuellement dans la phase la plus difficile, physiquement et moralement. Je ne peux m’empêcher de penser à tous ceux qui subissent un exode forcé. Moi, je peux rentrer quand je veux, m’arrêter au supermarché quand je veux, et j’ai du soutien autour de moi. Je comprends un peu mieux le calvaire de toutes ces populations sur les routes du monde, avec la misère pour seule compagne.
Je dois paraître un peu fou sur mon blog… mais finalement, je ne suis peut-être pas si loin d’une vérité. Je suis coupé du monde, mais Claude m’a dit qu’il y a eu une panne électrique à l’échelle d’un pays. Ben merde alors...



