Les acrobaties involontaires de mes débuts à vélo

LES CHRONIQUES D'UN CASCADEUR MALGRÉ LUI

Mon premier accident de la vie

Mon premier accident de la vie ? Piouuu… c’était il y a un bail ! J’avais dans les 15 ans. À l’époque, pas de console de jeux, pas de ciné ni de laser game pour tuer le temps. Non, nous, on avait l’imagination, et surtout… pas un rond. La débrouille, c’était notre banquier, notre mécène, notre mécano aussi !

Mon premier vélo, je l’avais monté moi-même, pièce par pièce, récupérées dans le quartier : un guidon trouvé dans une cave, une roue qui traînait derrière une poubelle, une selle perdue sur un terrain vague… Un vrai patchwork sur deux roues. Déjà à l’époque, la récup’ coulait dans mes veines.

Un jour, mon pote Christophe, tout fier, débarque avec sa première mobylette : une 103 Peugeot toute neuve.
Nous, on n’avait pas trop d’idées pour occuper notre après-midi, alors on a inventé un jeu d’un goût discutable, mais très technique : on se crachait dessus chacun notre tour ! Le but : esquiver les tirs de salive façon ninja. Moi sur mon vélo à trois pattes, lui sur sa mob toute brillante.

Mon vélo, certes moins rapide, avait l’avantage de la reprise (façon de parler) et d’être plus agile. La mob, elle, fallait pas trop la secouer : c’était une pièce de musée pour Christophe.

Vers 19 h, au sommet de notre art martial de la bave, j’essaie d’éviter un tir, je zigzague, je me faufile entre deux voitures garées et BAM ! Je retombe sur la route.

Et là… vision divine : une grande croix bleue m’apparaît.
Non, ce n’était pas une apparition mystique, juste une ambulance.
Et pas en mode ralenti hollywoodien. Non. En pleine bourre !
L’ambulance me percute — vélo entre les jambes — et me projette par-dessus une voiture en stationnement. Atterrissage direct sur le macadam.
Moi ? Trou noir. Aucun souvenir.
C’est Christophe qui m’a raconté la scène (et il exagère sûrement un peu, mais bon…).

Résultat des courses : vélo en kit version puzzle 3D, et cheville droite en grève.
L’ironie ? C’est une ambulance qui m’a renversé ! Les gars s’arrêtent, me demandent si ça va (moi, stoïque : « Oui, oui, ça va… »), et me disent qu’il faudrait quand même que je passe à l’hôpital.
Mais ils peuvent pas m’y emmener… parce qu’ils sont en intervention dans le quartier.
La logique SAMU : tu renverses, tu soignes pas.

C’est donc mon père qui m’a emmené. Verdict : cheville foulée.
Et moi, tout content à l’idée de rester peinard à la maison, je me retrouve… à l’école. En béquilles. Super.

Mon père, grande gueule nationale, pestait contre le SAMU, exigeant qu’ils remboursent mon vélo fait maison. Je l’entends encore râler :
« Ils vont payer, j’te l’dis ! »
Il n’avait pas conscience que j’étais passé à deux doigts de finir en purée.

Aujourd’hui, plus de 45 ans plus tard, j’en garde un sacré souvenir.
Et quand je recroise Christophe, on en rigole encore. Même si lui, il nie avoir craché le premier…

Petits moyens, grandes idées

Il y en a eu bien d’autres.

Enfants de la rue, les idées ne manquaient pas.
Vous avez bien compris que le manque d’argent nous orientait naturellement vers la débrouille. Maintenant que je me suis replongé dans la mémoire de mon disque dur interne, les souvenirs remontent les uns après les autres.

Des gamelles, il y en a eu, mais pas seulement. Avec Christophe, mon compère de tous les jours, nous avions entrepris de repeindre nos vélos. Pour ce faire, on avait récupéré de la peinture en tube dans les affaires scolaires de nos frères et sœurs.
On y avait mis tout notre cœur, et surtout notre imagination. On avait même fixé, à l’aide de pinces à linge, un carton rigide entre la fourche et les rayons, afin de faire du bruit lors de notre première sortie. Ce fut un véritable succès : impossible de passer inaperçus ! On était tous les deux fiers de nos super vélos. Mais ça n’a pas duré longtemps : la pluie est arrivée, et la peinture à l’eau a fini par disparaître. Ce n’était pas bien grave, car on était passés devant les copains, et on les avait épatés une fois de plus.

Toutes nos actions n’ont pas toujours été aussi drôles, du moins pas pour tout le monde. Il faut bien reconnaître que l’argent était le fil conducteur de toutes nos initiatives. Le « sans-argent » nous poussait à réinventer les fonctionnements les plus classiques. Et, personnellement, je considère que c’était une excellente école de la vie.

Comme beaucoup, on adorait faire des roues levées avec nos biclous. Je dis biclou parce que, pour nous les bricoleurs du futur, le biclou était l’ancêtre du vélo. On aimait aussi être à deux sur un vélo. Pour cela, on avait récupéré des tiges filetées qu’on installait de chaque côté de la roue arrière, en guise de cale-pieds. Nos cale-pieds maison avaient des avantages, mais aussi quelques inconvénients…

Parmi les avantages : on pouvait facilement sauter sur le vélo en marche, ou faire des roues levées en se tenant debout sur les tiges. Ils étaient robuste et suffisamment long pour que confortable optimale.
Le problème, c’est qu’elles ne se repliaient pas sur elles-mêmes, et qu’elles étaient certainement trop longues…

Je me souviens d’une sortie dans le quartier avec Christophe, où on avait embarqué un autre copain, Michel. Il faut reconnaître que lui avait un vrai vélo, digne de ce nom : des pneus en bon état, mais surtout… des freins ! De temps en temps, nos freins fonctionnaient, mais pas toujours. Trop durs, trop vieux… On avait fini par faire plus confiance à nos semelles de chaussures. Ce qui me valait de devoir réparer mes pompes de temps en temps avec un bout de carton. Faut reconnaître que mes réparations n’étaient pas très étanches, et il n’était pas rare d’entendre ma mère râler, en me disant que je n’aurais pas d’autres chaussures tant que mon frère n’en changerait pas lui-même. Et lui, il attendait celles de notre grand frère…
Mais bon, passons.

On avait, comme d’habitude, glissé des cartons dans les roues avant pour faire notre petite musique clac-clac, et c’était parti. Pendant la balade, je me suis approché de Michel pour le dépasser, et j’ai vite compris le désavantage de nos cale-pieds maison. Le cale-pied droit de mon vélo s’est enfourné dans la roue avant de Michel. Barabing barabang… Michel au sol, en pleurs. La roue avant de son vélo n’avait plus un seul rayon. Le pauvre est rentré chez lui en pleurant, avec sa roue HS, son pantalon et sa veste déchirés. Nous, comme deux couillons, on a rigolé à s’en pisser dessus. Lui, il avait été bien amoché… et on ne l’a pas revu pendant plusieurs jours. Non seulement il s’était fait mal, mais en plus, sa mère lui en avait collé une !

J’ai toujours des contacts avec mes anciens copains de quartier.
Quand on se revoit, les fous rires sur nos déboires d’enfance sont toujours au rendez-vous.

À cette époque-là, le vélo était sans doute ce qu’est le téléphone portable aujourd’hui.

Mes premières cascades