L'épilogue
MA FABRIQUE À M'EN FOUTRE
L'épilogue
L’avenir
Pour ma part, il me reste environ quatre ans avant de changer d’activité. Je repense à un ancien collègue qui, à l’approche de la retraite, attendait avec une impatience presque palpable son dernier jour de travail. Contrairement à lui, je ne suis pas pressé. Parce qu’il faut bien l’admettre : lorsque nous quittons notre dernier fabrique , nous posons, d’une certaine manière, un premier pied dans une nouvelle « boîte ».
Vous l’aurez sûrement compris : Mr. Tisane, cacahuètes ou même les esclaves c’est un peu chacun d’entre nous. Grand, petit, grassouillet, maigrichon… Il est partout et nulle part à la fois. Il sait se fondre dans la masse comme un caméléon sous caféine, mais il peut aussi surgir en pleine lumière, surtout si ça sert ses intérêts. Mr. Tisane est malin. Parfois même un peu trop. Respectueux ? Oui, quand ça l’arrange. Sinon, il a une capacité fascinante à repousser les limites du bon sens et de la courtoisie. C’est bien simple, on a toujours du mal à le cerner. Est-il un génie incompris ou juste un artiste du bazar organisé ? Mystère. Et surtout, ne l’oublions pas : il y a toujours un Mr. Tisane quelque part, à côté de chacun d’entre nous. Parfois dans l’ombre, parfois bien devant. Alors regardez autour de vous… ou peut-être dans un miroir ? 😉
J’imagine mon temps restant parmi vous. Pour commencer, je ne compte plus m’occuper des travaux propres à vos aménagements spécifiques à vos rayons, après tout, ce n’est pas mon rôle. Pour le reste, je vais essayer de faire de mon mieux. Vous savez bien que déboucher les toilettes ne me dérange pas.
Cependant, je suis maintenant vieux, j’ai des douleurs un peu partout, et ma mémoire commence à me jouer des tours. Je suis usé moralement par le système, et comme vous êtes les artisans de ce système, je peux dire que vous m’avez usé. En vous confiant mes quelques problèmes physiques et psychologiques, vous connaissez désormais mes faiblesses, et vous ne pourrez pas dire que je ne vous les avais pas annoncées.
J’entreprends une marche de plusieurs jours, à l’écart de la civilisation. Une marche solitaire, accompagnée de ma fidèle Biscotte. J’ai besoin de réfléchir, de peser et de conforter la valeur de mes prochaines décisions, qu’elles concernent le travail ou mon futur changement d’activité. Je ne regrette rien : ni mon expérience, ni le fait d’avoir consacré un tiers de ma vie à cette fabrique Mais avec le temps, il devient évident que tout ne tient qu’à un fil. Je me suis fait avoir sur certains aspects et je n’en garde pas de trop mauvais souvenirs. Je n’éprouve aucune animosité envers qui que ce soit. Chaque étape, chaque rencontre, m’a construit, et pour cela, je suis reconnaissant.
Allez, encore une confidence…
Je suis fier de mes enfants. Tous deux ont fait des études supérieures comme vous le savez déjà, et dernièrement, mon fils est parti aux États-Unis pour une conférence. Quelques heures avant son discours, les investisseurs du laboratoire avec lequel il travaille lui ont demandé de modifier une partie de sa présentation. Il a refusé, estimant qu’il était trop tard : les actionnaires disposaient depuis plusieurs semaines le contenu du discours. On ne remanie pas à la dernière minute un discours minutieusement écrit. Finalement, il a reçu un retour positif et encourageant, ils ont reconnu que son discours était parfait ainsi que son travail.
Tout cela pour vous dire qu’au travers de vos divers comportements, j’ai appris, j’ai compris et su transmettre à mes enfants les leçons que vous m’avez données.
Il est temps de poser mon stylo et mon clavier. Je pourrais vous en raconter encore, mais j’en garde un peu sous le coude. Croyez-moi, elles sont bien plus croustillantes. J’ai fini par faire selon mes envies, car de toute manière, il y a toujours une pancarte qui se lève. Vous avez certainement du mal à gérer vos équipes d’une dizaine de collaborateurs, ou tout simplement vos collègues. Eh bien moi, mon équipe, c’est vous, 150 personnes, dont une Boîte de 10 Tisanes (et bien plus encore si je rajoute les Tisanes du siège), sans oublier les différentes entreprises qui me sont imposées et avec lesquelles je dois composer tous les jours. Pour finir, si vous n’avez toujours pas compris ma frustration, je ne peux plus rien pour vous.