La voiture, L’illusion majeure
LES CHRONIQUES D'UN CASCADEUR MALGRÉ LUI


La voiture, L’illusion majeure
J’ai obtenu mon permis voiture le 7 mars 1984, quatre jours après mon 18e anniversaire. En moins de cinq minutes, l’inspecteur remplissait le papier rose, avec neuf heures de conduite ( obligatoire) à mon actif ( officiellement). Après ma toute première heure de conduite avec le moniteur de l’auto-école Schump, il m’avait confié que, si cela ne tenait qu’à lui, il me donnerait le permis tout de suite. En effet, il aurait eu raison.
Mes premiers kilomètres au volant d’une voiture remontent à mes 15 ou 16 ans, du côté de Saint-Cassien. Il faut dire que je conduisais déjà un tracteur depuis un bon moment. J’ai appris à conduire sur une Renault 4 rouge. Il fallait faire attention : les freins n’étaient pas terribles, et sous les pédales, on voyait carrément la route défiler ! Pour freiner en cas d’urgence , ça aurait pu aider...
Dans mon quotidien, habitant dans un lotissement de pauvre, les idées ne manqué pas. Ont emprunté régulièrement la voiture du père de Philippe, une Peugeot 504. Le papa se couchait tôt – l’alcool n’était pas étranger à son sommeil. Avec la voiture, on jouait les Kékes dans le quartier et on partait en discothèque dans les environs.
En hiver, quand les températures descendaient sous zéro, mon père me demandait de faire chauffer le moteur de sa voiture quand je rentrais tard,. C’était une Golf diesel. À cette époque-là, quand il faisait trop froid, de la paraffine se formait dans le gasoil, ce qui empêchait le démarrage du matin. Donc, je suivais ses instructions et faisais chauffer la voiture pour qu’il puisse partir au travail a 4h30 du matin. En revanche ce qu’il ne m’avait pas dit, c’était de me promener avec. Mais l’effet de groupe était bien là, et à chaque fois que je chauffais la voiture, les copains et copines n’étaient pas loin. Nous voilà en vadrouille… Inutile de dire que personne n’avait le permis, même si il faisait froid les vitres étaient ouverte et fallait pas fumer.
Mon premier accrochage, je l’ai eu avec mon père. Ce n’était pas sans raison qu’il tenait à nous apprendre à rouler, a moi même ainsi qu'a mes frères lui-même : c’était selon son bon vouloir, mais aussi une manière de faire des économies. Le temps qu’il m’apprenait, c’était du temps qu’il ne payait pas à une auto-école. Dans les années 80/90 le permis de conduire faisait partie intégrante de notre d'éducation comme avoir un diplôme de fin d'études de nos jours en 2025. Le diplôme en s'en foutais mais pas du permis. Lors d’une sortie sur les petites routes de campagne, il a eu peur que je percute une mobylette en arrivant à la hauteur d’un petit pont. Il a tiré le volant vers la droite. Putain, je me voyais déjà emboutir la voiture ! Mon réflexe, c’était de redresser, mais lui tirait de l’autre côté. Résultat : chacun tirait le volant dans sa direction, selon son instinct. De plus, en freinant avec la voiture, la voiture tiré à droite. In extremis, je racle le côté droit du pont. J’ai entendu un bruit étrange au moment de l’embrouille, alors je me suis arrêté un peu plus loin. Mon père, rouge de colère et de peur, ne disait pas un mot. Je sors et je vais voir le côté passager de la R4 : les deux poignées avaient été arrachées (un chouia trop près du mur, visiblement). Le gars sur sa mobylette a dû se demander ce qu’il se passait. Quant aux poignées : deux coups de marteau, deux tours de tournevis, et hop, c’était reparti.
Quelques années plus tard, mon père me refaisait le même coup. Cette fois-ci, on roulait à vive allure, à 90 km/h, un soir vers 23 h, sur une petite route départementale. Il c’était assoupie, nous étions sur le trajet de Saint-Cassien (pour vous mettre dans le contexte nous étions partie a 14 heures de Strasbourg. Nous faisions régulièrement le trajet, la route je la connaissais plus que bien et bien moins que mon père. Les conditions étaient bonnes : j’avais une bonne visibilité, la route était sèche, on était dans une Ford quasi neuve, et on arrivait à destination. En se réveillant brusquement, il a cru que je m’étais endormi. Sans réfléchir, il m’a pris le volant d’un coup sec. La voiture a fait plusieurs tête-à-queue et s’est arrêtée au bord d’un talus descendant de 3 ou 4 m, à dix centimètres d’un gros arbre, dans le sens inverse de notre direction. Nous sommes repartis et il ne s'est plus assoupi.
Une autre fois, en jouant les kékés devant mes deux frères, j’ai voulu faire un dérapage contrôlé autour d’un arbre a la Starsky et Hutch. En face il y avait une église. Je n’ai rien dérapé du tout… Je suis rentré directement dans le mur de l’église. Il n’y avait pas de macadam, juste de la pelouse, et il pleuvait légèrement. Moi, je n’ai rien eu, mais la Simca 1000 avait tout l’avant embouti. Mes deux couillons de frères étaient pliés de rire. Mon beau-frère, le propriétaire, ne m’a rien dit, mais la voiture a gardé les séquelles et ce malgres les divers réparations. Ça reste un bon moment familial, une histoire qui revient souvent sur la table lors des repas de famille.
À cette époque-là, mon réseau de copains se réduisait peu à peu. Overdoses, sida, accidents de la route… J’ai perdu plusieurs copains à la suite d’un accident de la route. Moto ou voiture, qu'importe, il y avait régulièrement un arbre en travers du chemin, souvent pour les mêmes raisons : l’alcool et la vitesse.
Il y en a un, pourtant, qui s’en est toujours sorti indemne : Christophe, mon pote de toujours. Il a survécu à plusieurs accidents spectaculaires, des voitures réduites à l’état d’épaves, lancées à des vitesses qui donnent le vertige. L’alcool était presque toujours en cause.
Face à ça, je ne sais plus trop quoi penser de la mort. Est-elle une question de date de péremption ? De nombre limité de battements de cœur ? Ou simplement une histoire de chance ? Sans doute un peu de tout à la fois.
Ce sont sans doute ces raisons-là qui m’ont empêché de suivre leur exemple. Les accidents m’ont refroidi, et cela a sûrement pesé sur mon comportement. Après des débuts un peu comiques, je n’ai plus jamais eu d’accident, même minime. J’ai essayé de faire le compte : j’ai été propriétaire de six voitures, avec au total environ un million de kilomètres parcourus. Je ne pense pas être meilleur que les autres, mais sans doute plus chanceux. Comme tout le monde, j’ai parfois eu peur, ou roulé dans des conditions pas idéales. Quand je repense à cette époque, je constate que je m’en suis pas trop mal sorti. Chance, expérience, prudence, ou simplement prise de conscience… certainement un peu de tout. Nous y reviendrons plus tard car les accidents ont plusieurs visages.