Après le vélo, place à la mobylette !
LES CHRONIQUES D'UN CASCADEUR MALGRÉ LUI


Après le vélo, place à la mobylette !
Petite parenthèse avant de reprendre le fil de mes souvenirs.
Je suis actuellement en arrêt de travail, suite à une chute survenue à mon domicile — je vous raconterai cela un peu plus tard. Ce que je sais déjà, c’est que je vais être immobilisé pendant environ huit semaines. L’accident a eu lieu le mardi 13 mai, à 10 h 30. Depuis, je suis cloué au sol, oscillant tant bien que mal entre le lit et le canapé. Je ne suis pas du genre à rester les bras croisés à ne rien faire, et je n’ai pas franchement envie de passer mes journées à me gaver de séries ou de vidéos à n’importe quelle heure du jour (ou de la nuit) — même si, soyons honnêtes, il m’arrive comme vous d’y céder de temps à autre.
Il m’a paru plus sympathique de m’adresser à vous, lecteurs d’un jour ou de toujours, pour partager quelques souvenirs sur le thème des accidents de la vie. C’est presque thérapeutique, en fait. Je découvre que ça me fait du bien de "blablater", comme on dit, sur mon expérience — ou mon inexpérience, voire mon inconscience, selon certains points de vue. Je me surprends moi-même à éprouver cet enthousiasme à vous dévoiler ma vie, qui, au fond, doit ressembler à celle de beaucoup d’entre vous. À vous, ma génération.
Certaines de mes aventures prêteront à sourire. D’autres, en revanche, sont franchement dramatiques.
Après le vélo, place à la mobylette !.
Mon premier souvenir du deux-roues motorisé me ramène à notre lieu de vacances. Mes parents possédaient une vieille ferme dans le département de la Dordogne, plus précisément à Saint-Cassien. Pour nous – frères, sœurs, et même nos parents – c’était notre havre de paix. Nous y passions la plupart de nos vacances scolaires.
Pendant les grandes vacances d’été, mon père nous déposait là-bas puis repartait seul à Strasbourg retrouver ma mère et son quotidien d’ouvriers. En résumé : mes parents à Strasbourg sans enfants, et nous à Saint-Cassien, sans parents, pour deux mois. Simple et efficace.
La seule autorité sur place, c’était notre grand-mère. Et, soyons honnêtes, elle n’était pas bien méchante. C’était même probablement la seule incarnation de douceur et d’humanité dans la famille. En y repensant, la pauvre a dû en voir de toutes les couleurs avec nous les sept enfants !
Mais revenons au sujet : les accidents.
Saint-Cassien, c’était vraiment le bout du monde. J’ai entendu dire un jour que c’était « le trou du cul du monde ». Pour moi, pour mes frères et sœurs, c’était tout l’inverse : un cadeau tombé du ciel. Loin du père, loin de la cité, loin d’un quotidien où, soyons francs, il ne flottait pas vraiment une ambiance propice à l’épanouissement ou à la réussite.
Je m’égare… Reprenons.
À cette époque-là, pour les plus jeunes, le vélo faisait l’affaire. Mais pour les plus grands, il y avait la mobylette. Et vu ma taille — trois couilles à plat ventre — j’étais tout juste dans les clous (selon mes critères à moi) pour piloter la 102 Peugeot bleue de la famille. Il faut dire qu’à cette époque, les règles de sécurité étaient... disons... souples. Très souples. On ne se posait pas trop de questions : qui avait le droit de rouler en mobylette, à moto, ou même en voiture ? Peu importait. Tant que ça roulait, c’était bon. Loin de toutes civilisation, la peur du gendarme ne nous avait jamais effleuré l’esprit. Alors, dès que l’occasion se présentait, je chipais la fameuse 102 bleue pour aller faire un petit tour. Oh, je n’allais pas bien loin. Mais pour moi, c’était l’aventure. Et surtout : la liberté.
La « maison » se trouvait sur une petite colline (je mets des guillemets parce qu’en vérité, c’était plus une ruine qu’autre chose). Encore aujourd’hui, je me demande comment mes parents ont pu nous laisser vivre dans une maison dont l’arrière menaçait déjà de s’effondrer. Lors des orages, nous placions des récipients pour récupérer l’eau qui tombait du grenier.
Qui dit colline dit route en pente. Et les routes de campagne, à l’époque, étaient étroites, bordées de chaque côté par une couche de gros gravier — vous savez, celui qui vous déchire la peau dès qu’on s’en approche un peu trop.
J’arrivais à peine à poser les pieds sur les pédales… mais me voilà parti et pas besoin de pédaler! Je roulais sans doute un chouïa trop vite, grisé par la vitesse. Et dès le premier virage, incapable de freiner, me voilà propulsé dans le décor. J’ai fini ma course dans un énorme buisson de ronces… qui, croyez-moi, m’a remis les idées en place très rapidement. J’en suis ressorti tant bien que mal, les bras en feu, la peau zébrée de griffures. J’ai remis la mobylette à sa place, ni vu ni connu, comme si de rien n’était. Mais dans ma tête, résonnent encore les rires — et parfois les larmes — de la famille, rassemblée autour de ces souvenirs. À l’époque, le mot "accident" ne faisait même pas partie de notre vocabulaire. D’ailleurs…c’est quoi, un dictionnaire ?
À cette époque-là, il ne nous fallait pas grand-chose pour nous occuper. Le danger était partout.
Un jour, ma sœur, en sautant dans un tas de foin de la grange, s’est empalée la cuisse sur une fourche que mon frère tenait dans ses mains ! Elle n’a rien dit aux parents, jusqu’au moment où l’infection a commencé à se propager sérieusement…
J’avais quatre ou cinq ans, peut être 6 quand mes frères et sœurs m’ont fait entrer dans un gros pneu de tracteur, avant de me faire dévaler la colline avec. J’ai fini ma course dans le ruisseau, trois cents mètres plus bas. Certainement la raison a mon cerveau chamboulé.
Avec une vieille poussette cassée, on avait fabriqué ce qu’on pensait être la première caisse à savon du monde. Une vraie invention révolutionnaire… jusqu’à la première descente.
À cette époque, il n’y avait pas de piscine extérieure, une baignoire remplie d’eau nous suffisait à nous amuser. Dans la baignoire, il y avait mon frère Michel et ma sœur Marie-Hélène. Nous avions chacun une bouteille que nous remplissions d’eau pour nous arroser. Malheureusement, dans notre excitation et nos cries, une bouteille se casse, et peu de temps après, du sang remonte à la surface. Mon frère se lève : pas de coupure. Ma sœur se lève à son tour, et là, immédiatement, je me mets à pleurer — j’avais compris que le sang venait de moi. Cela m’a valu trois points de soudure au genou, sans anesthésie : le toubib du coin m’avait raccommodé comme il a pu. Ma mère m’y avait emmené en mobylette.
Et puis il y a eu cette fois où ma sœur est tombée dans la mare. Heureusement que notre grand-mère l’a entendue crier « au secours car elle se noyer» — sinon, qui sait ce qui aurait pu arriver…à côté de la mare il y avait une vieille moissonneuse déglinguée moitié rouillée. On a manqué de s'empaler à plusieurs reprises, des tiges pointues il y en avait partout, mais voilà, ce n’était pas notre moment.
Des trucs comme ça, il y en a eu des dizaines. Des histoires à la pelle. Aujourd’hui nous en rigolons et prenons conscience des dangers auxquels nous étions confrontés quotidiennement.
À quelques kilomètres de là, à Parranquet un petit hameau, vivait la famille Vazelle. Nous passions beaucoup de temps dans leur ferme, à rigoler, mais aussi à donner un coup de main. Je me souviens particulièrement d’un retour, j’avais alors autour de 15 ans. La fille d’un paysan voisin se tenait au bord de la route, attendant ses vaches pour les faire rentrer dans un autre champ. Mon regard s’était figé sur elle. Elle avait mon âge. Qu’est-ce qu’elle était belle… Le coup de foudre, immédiat. Une silhouette fine, un short typique des années 80 dévoilait ses jambes… Il n’en fallait pas plus pour que je ne regarde plus du tout la route. Elle était placée juste avant un virage, et la réalité m’a violemment tirée de mon rêve un peu fantasmé. J’avais oublié le virage. Je suis allé tout droit, encastré dans le talus, projeté par-dessus la mobylette, et directement dans les barbelés… Aïe, ouille… Une fois de plus, j’avais eu de la chance. Je me souviens encore de sa voix me demandant si ça allait et si j’avais besoin d’aide. Par réflexe, je me suis relevé rapidement, sans rien demander de plus. La mobylette n’avait même pas calé.


La photo commence à dater, mais c’était bien moi aux commandes du tracteur . J’avais à peine 12 ans.

