Apés la mobylette la petite cylindré
LES CHRONIQUES D'UN CASCADEUR MALGRÉ LUI


la petite cylindrée.
Comme la vie ne s'arrêtait pas là, après la mobylette est arrivée
la petite cylindrée.
Se déplacer sur deux roues faisait partie intégrante de notre vision de la vie, comme une extension de nous-mêmes. Il nous était impensable d’envisager l’existence sans un moteur sous les fesses. À cette époque, faire le plein du deux-roues, avoir un paquet de clopes et une dizaine de francs en poche suffisait à nous procurer un vrai sentiment de confort. Il ne nous en fallait pas beaucoup pour être bien.
Quand on faisait partie d’un clan, tout semblait plus simple. Si l’un n’avait pas, l’autre avait pour lui : la solidarité était bien présente. Je fais ici une petite parenthèse pour expliquer l’état d’esprit du groupe. Il pouvait y avoir quelques tensions ou rivalités, mais rien de bien méchant. Ça s’arrangeait toujours. Et surtout, il n’y avait aucune différence entre nous : ni de couleur de peau, ni de religion, ni de statut social. Le partage était la base de notre quotidien. En général, quand l’un d’entre nous sentait un danger, il le signalait aux autres. On prenait alors le temps de réévaluer nos actions pour réduire les risques.
À 15 ans, nous étions tous plus ou moins prudents — notre passé y était sûrement pour quelque chose. Je me souviens d’un moment particulièrement dangereux, dans la cave de Christophe. On devait avoir 5 ou 6 ans, et on avait entrepris de faire un petit feu… juste sous le robinet de la cuve à mazout ! Quelques secondes avant d’allumer notre tas de brindilles, son père est arrivé. Autant dire qu’il a eu une punition mémorable, et cette mésaventure nous a servi de leçon. Si on avait craqué une allumette ce jour-là, on aurait sans doute mis le feu au bâtiment. Il y avait du fuel dans chaque cave… Nos expériences nous ont toujours servi. Plus on grandissait, plus on devenait prudents. Cela ne veut pas dire qu’on ne faisait plus de conneries, mais on essayait de le faire en sécurité.
Par exemple, quand on escaladait les conduites de gaz dans les gaines techniques du premier au cinquième étage, on s’y préparait un minimum. J’ai pas connu beaucoup de chutes en mobylette, mais plus tard, je suis passé à une Honda MT 80. Pas besoin de préciser qu’il ne restait plus grand-chose d’origine après six mois de bricolage. Elle filait facilement à 120 km/h. À cette époque, dans les années 1980, l’hôpital de Hautepierre était encore en fin de construction, et autour, il y avait une route circulaire impeccable. Tellement impeccable qu’on y passait des heures à tourner en rond, à prendre de plus en plus d’angle dans les virages. Celui qui réussissait à faire des étincelles avec les repose-pieds arrière était considéré comme le meilleur. Un jeu débile, peut-être, mais c’était notre occupation.
Je ne suis pas passé loin de certains accidents qui auraient pu être graves. Était-ce l’expérience qui nous rendait prudents, ou simplement une bonne étoile ? Allez savoir…
Par contre, je n’oublierai jamais la gamelle que j’ai prise sur la route entre Lingolsheim et Eckbolsheim. C’était un dimanche après-midi, vers 14 h. Beau ciel bleu, température idéale pour aller au canal de la Bruche à Eckbolsheim. J’étais avec mon pote Michel. Une voiture en face s’est soudain décalée sur sa gauche, en direction de moi. Par réflexe, je suis monté sur le bas-côté en terre… Ouf, évité de justesse. Mais en voulant revenir sur la route, ma roue a glissé dans un sillon traître qui longeait l’asphalte. Et là, chute : glissade sur le macadam et les graviers, comme ceux qui bordaient les routes de mon enfance à Saint-Cassien. On a glissé sur bien 50 mètres. Ça a chauffé, inutile de préciser qu’on n’avait aucune protection : short, chemise, baskets — même pas de gants. Michel s’en est bien sorti, il a glissé sur l’herbe. Mais moi… c’était une autre histoire. Mon dos n’avait plus de peau, arrachée par les graviers comme du papier de verre. La paume de mes mains était brûlée par le macadam, et à la cheville droite, je voyais l’os de la malléole. Aller à l’hôpital ? Même pas une idée qui m’a traversé l’esprit. J’ai passé la journée chez une voisine de Michel, et ne suis rentré me coucher qu’à 6 heures du matin. Ma mère a eu la peur de sa vie en me voyant. À l’époque, c’était la débrouille. Le premier jour, j’ai dû changer de t-shirt plusieurs fois à cause du dos qui suintait et saignait. J’ai souffert quelques jours, mais je m’en suis bien sorti.
D’autres n’ont pas eu cette chance. La vitesse et l’imprudence ont parfois été fatales. En moins d’un an, deux d’entre nous sont partis. Dans un article, "Mes trente jours de solitude", je parle de Mony. Un jour, il voulait que j’embrasse ma voisine en échange d’un sachet de bonbons. Il a fini encastré dans une voiture sur le pont des frères Matthis. Vitesse et imprudence, encore. Rien n’arrive sans raison : ce matin-là, c’est le voisin qui a lavé son corps, (Mr FRITZ travailler a la morgue) avant de présenter son corps à ses parents. Il devait se marier le week-end suivant.